Dans son mémoire de maîtrise en sociologie économique, Charles Guay-Boutet explique comment la hausse de l’endettement étudiant public, mais aussi privé, contribue à une précarisation de leurs conditions de vie.
C’est le quatrième chapitre du mémoire qui a retenu l’attention du CAPRES, dans lequel l’auteur dresse un portrait des transformations récentes de l’endettement étudiant au Québec. L’auteur reprend la distinction entre l’endettement bancaire public, c’est-à-dire celui contracté à travers le système de l’Aide financière aux études (AFE) et l’endettement bancaire privé, comprenant l’endettement sur cartes et marges de crédit.
Une revue de différents rapports montre que depuis le début de la décennie 1990, entre 40 % et 50 % des étudiants universitaires québécois de 1er cycle s’endettent auprès de leur institution financière par l’intermédiaire de l’AFE. L’AFE arrive donc au premier rang des sources d’endettement des étudiants à temps plein de 1er cycle universitaire, soit 45 %. La deuxième source d’endettement est les prêts bancaires et les marges de crédit. La troisième source d’endettement des étudiants du premier cycle à temps plein est la carte de crédit, dans une proportion d’un peu moins de 27% (Houle, 2009).
En 2015, la dette moyenne totale à l’AFE se chiffrait à 13 139 $ pour les universitaires du 1er cycle sur des revenus annuels moyens de 9049 $. L’accroissement annuel moyen de la dette nette est donc de 3698 $ pour les étudiants de 1er cycle.
À l’université, cette moyenne est nettement différenciée selon les cycles, soit de 13 139 $ au 1er cycle et de 25 387 $ au 3e cycle. Les étudiants à temps plein sont plus nombreux à s’endetter à l’AFE proportionnellement aux étudiants à temps partiel. Les universitaires en sont proportionnellement les plus importants utilisateurs (41% d’entre eux, contre 31.5% et 23.3% au secondaire professionnel et au collégial).
Généralement, le taux et le montant moyen de la dette est plus élevé :
La hausse de l’endettement étudiant, en Amérique du Nord, s’inscrit dans un contexte caractérisé entre autres par la progressive tarification des services publics. Ce contexte détermine l’endettement étudiant québécois.
Si le montant des frais de scolarité dépend des provinces, le budget général des universités dépend d’une subvention fédérale. Or, à travers le Canada, les coupes progressives dans les subventions aux universités ont été accompagnées d’une hausse des frais de scolarité. Le gouvernement fédéral s’est retiré du financement universitaire au même rythme que les universités ont accru la part de leur revenu issu des frais de scolarité.
Une baisse de la subvention provinciale aux universités a aussi eu lieu au Québec. Pour certains acteurs de l’enseignement supérieur, il fallait revoir l’ensemble du mécanisme de financement pour augmenter considérablement la part des frais de scolarité.
Ce contexte socioéconomique contribue à expliquer la hausse de l’endettement bancaire étudiant, d’autant plus que, contrairement aux individus du même âge intégré au marché du travail, un étudiant peut difficilement financer ses études par revenu privé au-delà d’un emploi à temps partiel. Il doit donc emprunter pour palier le manque à gagner.
À titre d’illustration de l’évolution historique de l’endettement, un rapport datant de 1994 sur l’endettement étudiant public (moyenne des prêts, des défauts de paiements, etc.) indique qu’en 1991-1992, l’endettement moyen à l’AFE pour les étudiants universitaires de 1er cycle était de 7296 $, soit une hausse de 80% depuis.
Des facteurs économiques influencent le taux et le montant de l’endettement des étudiants québécois : les étudiants issus de ménages à faible revenu sont plus nombreux à s’endetter. L’augmentation général du coût de la vie (loyer, nourriture, logement, etc.) entraîne généralement une hausse de l’endettement.
L’endettement bancaire privé (par cartes et marges de crédit) vient donc souvent suppléer l’insuffisance du régime québécois d’endettement public. S’inscrivant en parallèle à celui-ci, les dettes associées au système bancaire privé sont en augmentation et cette augmentation correspond à une hausse de la précarité financière. De fait, l’auteur souligne qu’il existe une forte tendance à ce que les sources d’endettement s’additionnent plutôt qu’elles ne substituent l’une à l’autre, la possession d’une carte de crédit donnant plus facilement accès à une marge de crédit, par exemple. Autrement dit, plus son endettement est grand, plus l’étudiant risque de s’endetter davantage.
Dans les 35 % d’étudiants québécois déjà endettés via le système public d’endettement bancaire, 22% cumulent cette source aux produits bancaires privés pour financer leurs études. Les données trouvées par Guay-Boutet indiquent une nette hausse de ce type d’endettement : l’utilisation de la carte de crédit chez les universitaires de 1er cycle aurait ainsi augmenté de 32 % de 1994 à 2004, l’utilisation de la marge de crédit doublant.
Du survol des différentes marges de crédit étudiantes effectué par Savoie (2011), l’auteur constate une grande variabilité, ces marges allant des 10 000 $ à 40 000 $. Cet écart provient notamment des marges de crédit différenciées selon le domaine d’études.
Sur le plan de l’accessibilité aux études, il est à noter que cet endettement augmente au fur et à mesure de la progression dans le cheminement académique : au terme de leurs études, 96 % des universitaires possédaient une telle carte. Or, seulement le tiers de l’échantillon connaissait le taux d’intérêt chargé sur les produits qu’ils manipulaient (Rochefort, 2005).
Une étude subséquente à ce mémoire pourrait être d’évaluer dans quelle mesure cet endettement étudiant privé, déjà fort présent au premier cycle, influence la suite du parcours scolaire des étudiants, en particulier des étudiants issus de ménages à faible revenu.
Guay-Boutet, C. (2018). Économie politique de l’endettement étudiant bancaire au Québec. Mémoire de maîtrise présenté au Département de sociologie, UQAM.
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