Trois chercheuses américaines ont examiné les perceptions d’étudiant·es de première génération (EPG) sur l’enseignement supérieur. En plus de souligner l’importance de la mobilité sociale découlant des études, les résultats de leur recherche montrent que les EPG entrevoient des bénéfices collectifs à l’enseignement supérieur au fil de leur parcours universitaire.
Marcela G. Cuellar, Alicia B. Garciaa et Kem Saichaieb (University of California, campus Davis) ont mené cette étude qualitative auprès d’étudiant·es de premier cycle universitaire inscrit·es à un cours portant sur les enjeux de l’enseignement supérieur, au printemps 2017 et à l’hiver 2018.
Après avoir terminé le cours, 21 étudiant·es ont participé à un entretien semi-dirigé :
Les étudiant·es interrogé·es reconnaissent que le discours dominant sur la poursuite d’études universitaires met surtout l’accent sur la réussite individuelle et la mobilité sociale qu’elle engendre (p.288).
La plupart des étudiant·es sondé·es dans le cadre de cette recherche ont toutefois une compréhension plus complexe des études universitaires, qui va au-delà de la mobilité sociale et qui pointe les bénéfices collectifs de l’enseignement supérieur (ibid.).
Cette vision plus collective l’enseignement supérieur se développe au fur et à mesure de leur parcours (p.289).
Cette recherche révèle des nuances dans la façon dont les EPG (11/25 participant·es) et les étudiant·es qui ont des parents ayant fréquenté l’université (14/25 participant·es) envisagent l’enseignement supérieur (p.289).
Les étudiant·es dont les parents ont fréquenté l’université soutiennent que l’enseignement supérieur permet notamment de promouvoir la pensée critique et d’améliorer la société. En revanche, la plupart des EPG font référence à l’engagement citoyen à un niveau plus proche de leur vie, comme le fait de pouvoir améliorer le statut socioéconomique de leur famille et de leur communauté (ibid.).
Plusieurs EPG affirment également que leur famille a influencé la manière dont elles et ils perçoivent le rôle de l’enseignement supérieur. Leur famille est d’ailleurs un facteur important de leur motivation à fréquenter l’université (ibid.).
Selon les chercheuses, les EPG interrogé·es considèrent la mobilité sociale comme un avantage important qui découle de la poursuite études universitaires. Cet avantage n’est toutefois pas perçu dans une perspective individuelle ; il englobe leur famille et leur communauté (p.290).
Ces résultats reflèteraient l’intersectionnalité du statut de première génération et de l’origine ethnoculturelle, la grande majorité des EPG interrogé·es (10/11) étant d’origine latino-américaine (ibid.).
Plusieurs des répondant·es expriment leur désir de poursuivre une carrière qui leur permettra d’apporter des changements dans leurs communautés, et ce, même si ces carrières ne sont pas très bien payées – ce qui va à l’encontre de l’explication dominante de la mobilité sociale (ibid.).
Ce désir d’apporter des changements dans les communautés peut expliquer la forte représentation des diplômé·es d’origine latino-américaine dans des professions associées aux services sociaux et à l’éducation. Certain·es entrent à l’université avec cette volonté de changer les choses, mais le fait de vivre des expériences universitaires de discrimination peut également renforcer ce désir (ibid.).
Le diplôme universitaire peut devenir le symbole d’une lutte collective pour les étudiant·es venant de familles et de communautés où l’accès à l’université reste inéquitable. En ce sens, ces étudiant·es voient dans l’enseignement supérieur la possibilité de s’autonomiser (empowerment) et de devenir des agent·es de changement pour leur communauté (ibid.).
Selon les chercheuses, les messages reçus par les étudiant·es au sujet de l’université sont étroitement centrés sur la mobilité sociale et les avantages individuels. Or, plusieurs futur·es étudiant·es peuvent être intéressé·es par des carrières qui servent le bien public et rechercher des gains autres qu’économiques (p.291).
Étant donné que le marché du travail actuel exige des compétences universelles (par exemple, l’esprit critique ou l’innovation), les établissements d’enseignement supérieur auraient avantage à souligner l’importance des expériences liées une éducation citoyenne et démocratique, que ce soit sur leur site web ou dans les documents de recrutement et d’admission (ibid.).
Cuellar et al. (2022) proposent que les classements institutionnels, en particulier les classements mondiaux, adoptent des indicateurs qui valorisent les bénéfices collectifs de l’enseignement supérieur pour l’ensemble de la société. Les universités pourraient documenter la quantité de ressources institutionnelles investies dans des initiatives locales et le nombre d’étudiant·es impliqué·es dans les services aux collectivités. Ce faisant, les responsables de l’éducation pourraient informer plus efficacement les autorités politiques sur les contributions économiques et sociales de l’enseignement supérieur (p.291-292).
Dans un contexte où les universités développent des approches pour servir des populations étudiantes de plus en plus diversifiées, notamment les EPG, les opinions des étudiant·es sur les enjeux de l’enseignement supérieur devraient être pris en compte. Ces points de vue pourraient être particulièrement utiles pour soutenir les visées collectives de l’éducation, étant donné que ces étudiant·es deviendront des citoyen·nes se préoccupant des retombées de l’enseignement supérieur dans la société de demain (p.292).
Cuellar, M.G., Bencomo A. G. & Saichaie, K. (2022) Reaffirming the Public Purposes of Higher Education: First-Generation and Continuing Generation Students’ Perspectives. The Journal of Higher Education, 93(2), 273-296.
Mots-clés: EPG – minorités culturelles – Systèmes et enjeux de l’enseignement supérieur – transition vers le marché du travail